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«L’épilepsie n’est pratiquement jamais une raison de renoncer à avoir des enfants»

Les appréhensions des femmes atteintes d’épilepsie avant la grossesse et la maternité sont souvent plus grandes que les risques. Elles devraient toutefois être attentives à certains points si elles souhaitent tomber enceintes. Silke Biethahn, neurologue FMH, explique lesquels et ce dont les mères atteintes d’épilepsie ont particulièrement besoin après l’accouchement.


Interview: Carole Bolliger

Quels sont les plus grands défis lorsqu’une femme atteinte d’épilepsie souhaite tomber enceinte ?

Les grossesses sont moins fréquentes chez les femmes atteintes d’épilepsie que chez les autres. Il y a différentes raisons à cela: d’une part, elles craignent de ne pas pouvoir assumer leur rôle de mère à cause de l’épilepsie. D’autre part, de nombreuses patientes redoutent que les médicaments pris pendant la grossesse nuisent à leur bébé ou de transmettre leur épilepsie à celui-ci. Par ailleurs, certains antiépileptiques peuvent affecter la libido.

Selon de récentes études, la fertilité en général n’est guère diminuée. Certains médicaments peuvent néanmoins provoquer des changements qui la réduisent.

À quoi une femme atteinte d’épilepsie doit-elle être attentive si elle souhaite tomber enceinte ? Qu’est-ce qui est important ?

Il faut qu’elle en discute le plus tôt possible avec son neurologue. Le désir de maternité doit être pris en compte dans le traitement médicamenteux. Certains médicaments présentent effectivement un risque nettement plus élevé de nuire au bébé, notamment le principe actif valproate. Mais d’autres n’augmentent que très peu le risque de malformation. Dans le même temps, le traitement doit être le plus efficace possible, parce que les crises généralisées, en particulier, peuvent mettre en danger la mère et l’enfant pendant la grossesse.

Lorsqu’une femme prévoit de tomber enceinte, elle devrait également commencer à prendre une supplémentation en acide folique à titre préventif, afin de réduire encore le risque de malformation pendant la grossesse.

L’épilepsie est-elle une raison de renoncer à avoir des enfants ?

L’épilepsie n’est pratiquement jamais une raison de renoncer à avoir des enfants.


„70 % des femmes enceintes
atteintes d’épilepsie ne constatent
aucun changement..“


Quels sont les difficultés et les facteurs de risque pendant la grossesse ?

Le traitement médicamenteux doit être suivi encore plus scrupuleusement que d’habitude pendant la grossesse. Le but est de l’adapter en sorte de limiter autant que possible le risque pour l’enfant à naître, tout en évitant les crises. Or, pendant la grossesse, la concentration sanguine de nombreux médicament change, ce qui complique les choses.

Le risque de crises augmente-t-il pendant la grossesse ?

70% des femmes enceintes atteintes d’épilepsie ne constatent aucun changement, 15% environ notent une amélioration et les 15% restants, une dégradation. Pour réduire le risque d’aggravation, il est important de vérifier régulièrement la concentration de médicaments dans le sang.

Quels sont les risques pour l’enfant lorsque la mère est atteinte d’épilepsie ?

Les crises épileptiques peuvent entraîner un manque d’oxygène (anoxie) susceptible de nuire à la mère et à l’enfant, probablement plus que les antiépileptiques. Il existe en outre un risque d’hémorragie fœtale, de fausse couche ou même de mortinaissance (venue au monde d’un enfant mort-né). Les chutes dues aux crises peuvent provoquer de graves lésions utérines, des saignements du placenta ou un décollement prématuré du placenta. Interrompre brutalement le traitement médicamenteux pendant la grossesse par crainte des effets indésirables serait donc une grave erreur.


Pour les professionnels

L’EURAP est le registre international de suivi des grossesses sous traitement antiépileptique (European Registry of Antiepileptic Drugs and Pregnancy). Les gynécologues (ou neurologues) qui suivent des femmes enceintes sous antiépileptiques devraient participer à sa tenue. Son but est de mieux enregistrer, documenter et identifier les effets secondaires et les conséquences des médicaments sur la grossesse:

www.eurapinternational.org


Les médicaments peuvent-ils affecter l’enfant à naître, lui nuire ?

Oui, les antiépileptiques peuvent provoquer des malformations et augmentent légèrement le risque de fausse couche. Au total, 95% environ des enfants nés de mères atteintes d’épilepsie viennent au monde en bonne santé, contre 98% environ des bébés nés de mères qui ne le sont pas. Globalement, le risque de malformation doit être réduit en prenant certaines mesures: il faut limiter autant que possible les différents types de principes actifs administrés. Les quantités de principe actif doivent par ailleurs être aussi faibles que possible: il vaut mieux prendre une dose en l’étalant sur deux ou trois prises dans la journée qu’en une seule fois. Si possible, il faut éviter le traitement par valproate. Enfin, outre une alimentation équilibrée, une dose plus élevée d’acide folique doit être administrée, surtout pendant le premier trimestre de grossesse.

L’épilepsie est-elle héréditaire ? Quel est le risque de transmission ?

Il existe de rares épilepsies héréditaires, généralement il n’y a pas de caractère héréditaire évident. Globalement, le risque qu’un enfant né d’une femme atteinte d’épilepsie en développe une à son tour est d’environ 2 à 5%, contre environ 1% pour les enfants nés de mères non atteintes.

Que conseilleriez-vous à un couple qui a si désespérément envie d’un enfant qu’il est prêt à aller à l’encontre de tout avis médical ?

Les situations dans lesquelles il faut clairement déconseiller à un couple d’avoir un enfant sont extrêmement rares. En revanche, il existe des cas dans lesquels la grossesse doit faire l’objet d’un suivi neurologique et gynécologique particulièrement étroit. Cela vaut notamment pour les femmes dont les crises sont fréquentes et qui prennent un traitement complexe, composé de multiples médicaments, dont certains fortement dosés. C’est surtout à elles que je conseille une prise en charge dans une clinique d’obstétrique en mesure, par exemple, de détecter les malformations cardiaques avant la naissance au moyen d’une échocardiographie. Les différentes options thérapeutiques peuvent ainsi être déterminées très tôt. Les parents peuvent décider d’envisager une interruption de grossesse et, dans le cas contraire, préparer un futur suivi optimal de l’enfant. Je recommande aussi à ces femmes d’accoucher dans un centre pouvant si nécessaire assurer des soins intensifs au nouveau-né, c’est-à-dire un hôpital disposant d’une clinique pédiatrique avec un service de néonatalogie.

Une fois le bébé né, les nuits blanches sont fréquentes. Or, les personnes atteintes d’épilepsie ont besoin d’un sommeil régulier pour éviter les crises. Que conseillez-vous ? À quoi faut-il veiller ?

D’une manière générale, il est très important que le père de l’enfant apporte son soutien à la mère dans ces situations. Idéalement, la mère tire son lait et le papa prend le relais avec le biberon la nuit pour qu’elle puisse dormir quelques heures d’affilée.

En fonction des médicaments, je conseille aussi parfois de conserver un dosage légèrement plus élevé dans les premiers mois après l’accouchement pour réduire le risque de crises.

Ensuite, il faut tenir compte d’aspects plus pragmatiques: selon le type de crise, une mère atteinte d’épilepsie ne devrait par exemple jamais changer seule son enfant sur une table à langer haute, mais plutôt par terre. En effet, en cas de crise, l’enfant sans surveillance court un grand risque de tomber de la table à langer. L’utilisation d’un porte-bébé est également recommandée, pour éviter de lâcher l’enfant lors d’une crise. De même, des freins de sécurité, c’est-à-dire sur lesquels il faut appuyer pour faire avancer la poussette (qui s’arrête dès que les freins sont relâchés) sont conseillés.

Est-il plus difficile pour un couple d’avoir un enfant si c’est le père qui est atteint d’épilepsie ?

Chez les hommes, il peut effectivement arriver, selon la médication, que l’on observe un peu plus souvent une baisse de la libido, une diminution de la virilité ou une fertilité légèrement réduite. Mais, d’une manière générale, on considère que la prescription aux hommes atteints d’épilepsie de médicaments favorisant l’érection, comme le sildénafil (Viagra®), ou de préparations similaires ne pose aucun problème. Il n’existe aucune indication claire que cela entraîne une augmentation des crises.

Symbolbild Arztbesuch-Behandlungsmöglichkeiten

Plus d’informations

Sur le site de notre organisation partenaire, la Ligue suisse contre l’épilepsie, vous trouverez de plus amples informations sur le thème de l’épilepsie et la maternité.


Deux femmes atteintes d’épilepsie racontent

Comment les femmes concernées abordent-elles la question du désir d’enfant? Nous avons demandé à deux mères.


«Je suis inquiète»

Marisa Grob a 26 ans. Elle est atteinte d’absences épileptiques depuis 15 ans et en a environ toutes les deux à trois semaines, parfois plusieurs d’affilée.

«Je ne suis pas encore mère. Mais si c’est possible, j’aimerais beaucoup avoir des enfants plus tard. Je suis fiancée et mon futur mari aussi en voudrait. Nous ne nous sommes pas encore sérieusement penchés sur la question de la grossesse et de l’épilepsie et n’en avons pas encore discuté avec le médecin, mais je suis quant à moi très inquiète qu’il arrive quelque chose au bébé pendant la grossesse ou plus tard, quand il sera né, pendant une de mes absences. Comme je ne contrôle pas complètement mon corps durant les crises, j’ai peur de le lâcher et qu’il se blesse, par exemple. Je me fais aussi du souci à l’idée que mon enfant soit également atteint d’épilepsie, parce que c’est héréditaire. J’ai très envie de devenir maman, mais pour l’instant, mes angoisses prévalent encore. Il n’empêche que je suis très optimiste quant au fait qu’il y aura un moyen et que nous pourrons devenir parents malgré mon épilepsie. Notre entourage est derrière nous et nous soutiendra, je le sais.»


«Je n’ai jamais regretté d’être mère»

Christine Leu, 38 ans, a un fils de 10 ans. Elle souffre d’épilepsie avec crises focales et aura depuis l’âge de 6 ans. Aujourd’hui, elle a encore environ deux crises par an dues au stress.

«Mon entourage et même les médecins m’ont toujours dit qu’il serait incompréhensible que j’aie un enfant avec ma maladie. C’est pourquoi, pendant longtemps, nous ne nous sommes pas posé la question. Mon mari et moi avons fait un tour du monde pendant lequel l’envie d’un enfant s’est faite de plus en plus pressante. A notre retour, nous avons commencé à nous renseigner et mon gynécologue m’a dit qu’une grossesse était possible malgré les médicaments. Mes neurologues n’étaient pas vraiment enthousiastes. J’ai dû arrêter un antiépileptique. Je suis très vite tombée enceinte et pendant la première moitié de ma grossesse, tout s’est bien passé, après quoi j’ai eu une ou deux crises par mois. Mais je n’ai jamais eu peur, j’ai toujours été convaincue que tout irait bien. Vers la fin de ma grossesse, c’est devenu un peu plus difficile parce que je ne dormais plus correctement. Or le sommeil est très important pour moi. J’ai alors eu plusieurs crises dans mon sommeil. Mon mari avait peur que l’enfant et moi manquions d’air.

Lorsque notre fils est né, j’ai commencé à reprendre des médicaments. Les premiers temps ont été très difficiles parce que je manquais de sommeil. Mon mari a alors pris la relève la nuit et j’ai recommencé à dormir suffisamment. La période aux alentours des deux ans de notre fils a été particulièrement dure pour moi. Il exigeait beaucoup d’énergie, j’avais des crises fréquentes, même la journée, ce qui n’était jamais le cas avant. Il était dans son parc et j’avais des crises à côté de lui. Inutile de dire que c’était moche. Ça s’est un peu arrangé lorsqu’il est allé à la crèche. Jusqu’à il y a deux ans, c’était du pur stress, j’avais de nombreuses crises, je devais prendre les médicaments à la dose maximale et j’avais des idées suicidaires. Mais je n’ai jamais regretté la décision d’avoir un enfant. Mon mari avait dit dès le départ que si nous devenions parents, nous n’aurions sûrement qu’un seul enfant. J’aurais aimé pouvoir donner un petit frère ou une petite sœur à notre fils, mais c’est vrai que c’était plus raisonnable. Je parle très ouvertement de ma maladie à mon fils, pour lui il est tout à fait normal que je prenne des médicaments et que je ne puisse par exemple pas aller à Europapark avec lui. Il lui est aussi arrivé d’assister à mes crises, mais il a trouvé ça plus amusant qu’effrayant.»