En finir avec la culpabilité

La culpabilité peut être très pesante pour les parents d’enfants atteints d’épilepsie, car ils peuvent avoir l’impression d’être à l’origine de la maladie ou qu’ils ne n’en font pas assez pour soulager les symptômes. Sara Satir est coach, animatrice de séminaires, chroniqueuse et elle-même mère d’un enfant atteint.

Interview: Carole Bolliger


Quelle est la prévalence du sentiment de culpabilité chez les proches de personnes atteintes d’épilepsie et quels facteurs peuvent y contribuer ?

Dans mon cabinet, je rencontre de nombreux parents d’enfants concernés par une maladie ou un handicap qui se sentent coupables. Différents facteurs peuvent y conduire : par exemple, lorsqu’il s’agit d’une maladie héréditaire dont l’enfant est atteint, les parents se demandent s’ils ont transmis quelque chose. De nombreuses mères se préoccupent de savoir si elles ont fait quelque chose de mal pendant la grossesse. Il s’agit toujours de sentiments de culpabilité irrationnels, qui ne reposent pas sur des faits médicaux. Malgré tout, de très nombreux parents d’enfants concernés doivent lutter contre ce problème.

J’entends aussi souvent de nombreux parents me demander s’ils en font assez pour leur enfant. Pourrait-on faire quelque chose de différent dans l’accompagnement ? Mon enfant a-t-il besoin de plus ou moins de thérapies ? Les parents d’enfants en bonne santé connaissent aussi ces questions et ces soucis. Mais dans le cas d’enfants malades ou en situation de handicap, le sentiment de culpabilité augmente clairement. Dans le cas spécifique des enfants atteints d’épilepsie, les parents se demandent souvent s’il aurait été possible d’éviter la crise ou ce qu’ils ont fait de faux pour que la crise se déclenche.

D’un autre côté, il y a aussi des parents qui ne se sentent pas coupables et cela ne les rend ni « étranges » ni « anormaux ».


Il est grand temps de rejeter la culpabilité


Comment les proches des personnes atteintes d’épilepsie peuvent-ils mieux gérer l’incertitude et les soucis qui peuvent accompagner cette maladie

Il est très important de ne pas voir uniquement la maladie ou le handicap de l’enfant, mais de se concentrer également sur tout ce que l’enfant peut faire et sur les bons moments que l’on vit avec lui. Retenir ces moments de bonheur peut être très fortifiant dans les moments difficiles. Cela favorise la résilience. Il est également important de demander de l’aide et de l’accepter. Un proverbe dit « il faut tout un village pour élever un enfant ». Dans le cas d’un enfant concerné par une maladie ou un handicap, il faut un village encore plus grand.


Quels sont les autres défis qui provoquent un sentiment de culpabilité chez les proches des personnes atteintes d’épilepsie ?

Outre ce qui a déjà été dit, trouver le juste milieu entre les besoins de l’enfant concerné, les besoins de ses frères et sœurs et ses propres besoins peut constituer un défi de taille. Souvent, les parents se sentent également coupables envers les frères et sœurs de l’enfant concerné. Il faut aborder les problèmes ouvertement et honnêtement, ne rien enjoliver et, si nécessaire, faire appel à une aide professionnelle.


Quel type de soutien et de ressources existe-t-il pour les proches de personnes atteintes d’épilepsie qui souffrent d’un sentiment de culpabilité, et où peuvent-ils trouver de l’aide ?

Je recommande de se mettre en réseau avec d’autres parents d’enfants concernés. Cela permet d’atténuer le sentiment de solitude. Quand on porte seul un sentiment de culpabilité, il se renforce. En parler lors du coaching ou de la thérapie. Ne pas avoir honte ou penser que l’on est bizarre d’avoir ces sentiments. Il existe également de nombreux bons livres sur ce sujet. J’essaie d’encourager mes clients et clientes à en parler. Pour beaucoup, c’est encore un sujet tabou. Il faut aussi en parler avec les médecins. Ceux-ci font parfois des déclarations irréfléchies qui renforcent le sentiment de culpabilité. Il faut alors se positionner clairement. Il est grand temps de rejeter la culpabilité. Car en tant que parents d’enfants malades ou en situation de handicap, on en porte déjà assez par soi-même.

En novembre, j’animerai le cours « Prendre soin de soi dans le système familial » d’Epi-Suisse. On y présente des pistes de réflexion et des techniques pratiques qui peuvent facilement être mises en œuvre au quotidien, même si celui-ci est très agité. Il y aura également du temps et de l’espace pour que les parents puissent échanger leurs expériences.


Quelles sont les autres stratégies permettant aux proches de personnes atteintes d’épilepsie de surmonter leur sentiment de culpabilité et comment ces stratégies peuvent-elles être soutenues?

Il n’y a pas de solution miracle. Je pense qu’il est important que les parents soient conscients que chacun doit de temps en temps lutter contre des sentiments de culpabilité. Aussi bien les parents ceux des enfants malades que ceux des enfants en bonne santé. Il faut faire comprendre aux parents que ce qu’ils font est suffisant. Car les parents agissent avec les meilleures intentions du monde et avec toutes les ressources dont ils disposent. Et c’est suffisant.


Quelle est l’importance pour les proches de prendre soin d’eux-mêmes et quelles mesures peuvent-ils prendre pour favoriser leur propre santé et leur bien-être ?

Elever un enfant n’est pas un sprint, mais un marathon. Seuls ceux qui prennent soin d’eux-mêmes peuvent venir à bout de ce marathon long, difficile et parfois semé d’embûches. Les parents ne doivent pas avoir mauvaise conscience lorsqu’ils confient leur enfant pour avoir du temps pour eux. Si l’on prend soin de soi, on peut également prendre soin de son enfant à long terme. Prendre soin de soi, c’est donc toujours prendre soin de son enfant.


Comment les amis et les membres de la famille des parents de personnes atteintes d’épilepsie peuvent-ils aider à réduire les sentiments de culpabilité ?

Les proches, les familles, les amis, les parents doivent être conscients qu’en faisant des déclarations irréfléchies, on risque de renforcer encore plus le sentiment de culpabilité des parents concernés. L’insécurité est de toute façon déjà grande. Si l’on ne sait pas quoi dire, le mieux est d’offrir simplement son soutien. Il faut éviter les déclarations irréfléchies telles que « vous auriez dû être plus persévérants » ou  » il faudrait absolument essayer la thérapie xy ». Il faut être conscient que ce que les parents doivent supporter est déjà plus que suffisant.


Les personnes concernées peuvent également se sentir coupables.

Les sentiments de culpabilité font partie du bagage biologique. N’importe qui peut les avoir. Mais il n’est pas ressenti de la même manière par tout le monde. Il n’existe pas un seul sentiment de culpabilité. J’ai aussi travaillé avec des personnes atteintes d’épilepsie qui culpabilisent de culpabiliser les autres. Personne n’est à blâmer, je pense que c’est important. Ni celui qui est malade ni celui qui est en bonne santé. Nous appartenons tous à la société – tels que nous sommes. Et tout le monde a le droit d’y participer.


En théorie, cela semble évident bien. Mais dans la pratique, c’est différent.

Oui, et cela me met en colère que la société soit aussi excluante. Nous vivons malheureusement dans un monde normé. Lorsqu’une personne sort de cette norme, il faut automatiquement blâmer quelqu’un. Et montrer que quelque chose qui ne va pas chez cette personne. C’est utopique, mais mon souhait est que tout le monde soit inclu. La thématique de la culpabilité disparaîtrait alors en grande partie. Les personnes et les familles concernées recevraient l’aide et le soutien dont elles ont besoin. Sans avoir à se battre pour cela.


Et comment atteindre cet état « utopique » ?

Nous avons besoin d’une communication plus ouverte, de plus de campagnes de sensibilisation pour les difficultés invisibles. C’est aussi la tâche d’organismes comme Epi-Suisse. Plus il y a de visibilité, plus petits sont les obstacles qui s’opposent à l’inclusion. C’est bien sûr une grande question politique. En Suisse, nous en sommes encore au tout début, mais l’initiative d’inclusion qui sera lancée en octobre est certainement une bonne et importante impulsion.

Epilepsie et médicaments lors de voyages lointains

Pour la plupart des personnes atteintes d’épilepsie, rien ne s’oppose à un voyage lointain.Les clarifications et les préparatifs nécessaires doivent toutefois être entamés suffisamment tôt. Epilepsie, médicaments et voyages lointains : À quoi les personnes atteintes d’épilepsie doivent-elles faire attention ?


Voyager en avion avec l’épilepsie

Les conditions des compagnies aériennes pour les passagers atteints d’épilepsie varient. Dans tous les cas, il est recommandé de se munir d’un certificat médical multilingue. Celui-ci devrait contenir des informations telles que la médication prescrite, les règles de comportement en cas d’urgence et des indications sur la nécessité éventuelle d’un accompagnement. Il arrive qu’une compagnie aérienne exige un certificat médical spécifique attestant de l’aptitude à voyager en avion (fit to fly certificate).


Emporter une réserve suffisante de médicaments

Il est conseillé d’emporter une réserve suffisante de médicaments pour un voyage lointain. Celle-ci devrait être transportée dans le bagage à main et dans son emballage d’origine. En outre, il est conseillé d’emporter un certificat médical multilingue attestant de la nécessité des médicaments afin d’éviter tout problème lors du contrôle de sécurité.

Notez également qu’en raison du décalage horaire, la dose quotidienne de médicaments doit être adaptée les jours de voyage. Cela peut être calculé à l’aide d’une formule. En cas d’incertitude à ce sujet, demandez conseil à votre neurologue.

Calcul da la dose de médicaments en voyage

Voyages vers l’ouest (dose augmentée)
= nombre d’heures « gagnées » / 24x dose journalière

Voyages vers l’est (dose réduite)
= (24 moin les heures « perdues ») / 24x dose journalière

Modifications du rythme veille-sommeil lors de voyages lointains

De nombreuses personnes atteintes d’épilepsie sont sensibles aux modifications du rythme veille-sommeil, ce dont il faut tenir compte lors de voyages lointains en raison du vol et du décalage horaire.


Des vaccins sont-ils recommandés pour la destination ?

Différents vaccins sont souvent recommandés lors de voyages dans des pays lointains. Toutefois, pour certains vaccins (par ex. la prophylaxie contre la malaria), il y a des recommandations particulières à respecter pour les personnes atteintes d’épilepsie. Il convient également d’en discuter au préalable avec le/la praticien(ne).


Qui prend en charge les éventuels frais de traitement ?

Avant de partir en voyage, il est conseillé de vérifier si les éventuels frais de traitement à l’étranger sont pris en charge par l’assurance maladie. Selon la destination, il est recommandé de conclure une assurance complémentaire, mais les patients atteints d’épilepsie se voient malheureusement souvent refuser l’assurance ou ne sont assurés qu’à des conditions difficiles. Lisez donc attentivement les conditions générales d’assurance avant de conclure un contrat.


Informations et moyens auxiliaires

Dépliant « L’épilepsie en voyage » de la Ligue Suisse contre l’Épilepsie.

Dépliant « Épilepsie et sommeil » de la Ligue Suisse contre l’Épilepsie

Carte SOS d’ Epi-Suisse (en français, allemand, italien)

Modèles de documents pour les voyages et vols longue distance


Vous avez des questions ou besoin de soutien?
Nos collaborateurs du service social vous aideront volontiers.

info@epi-suisseromande.ch
Tel.: 021 729 16 86

Interview sur les conséquences à long terme

Prof. Martin Kurthen, centre suisse de l’épilepsie, médecin-chef de la policlinique pour adultes, spécialiste en neurologie FMH

« LA SOUFFRANCE CAUSÉE PAR LES LIMITATIONS SOCIALES ET PSYCHOLOGIQUES
EST À PRENDRE TRÈS AU SÉRIEUX»

Martin Kurthen, quelles peuvent être les conséquences neurologiques à long terme de l’épilepsie ?

Il faut faire la distinction entre les épilepsies chez les enfants et chez les adultes, et entre les épilepsies avec ou sans maladie neurologique sous-jacente. Si l’épilepsie chez l’adulte est l’expression d’une autre maladie sous-jacente, comme une tumeur cérébrale ou une maladie métabolique, les éventuelles conséquences à long terme sont en premier lieu déterminées par cette maladie sous-jacente.

Et s’il n’y a pas de maladie neurologique sous-jacente ?

Dans la plupart des cas, les crises d’épilepsie en tant que telles ne s’accompagnent pas de séquelles neurologiques à long terme et n’évoluent pas de manière significative. Cela signifie qu’en cas d’épilepsie sans maladie sous-jacente évolutive, il n’y a pas lieu de craindre de graves séquelles neurologiques à long terme. En revanche, des séquelles indirectes à long terme peuvent résulter de complications de l’épilepsie au fil des ans, par exemple de traumatismes crâniens dans le cadre de chutes liées aux crises.

Existe-t-il également des conséquences à long terme avérées, déclenchées par les médicaments contre l’épilepsie ?

Les effets indésirables à long terme des médicaments contre l’épilepsie se produisent surtout avec les substances actives qui « stimulent » le métabolisme et peuvent ainsi entraîner des états de carence. Il s’agit le plus souvent de médicaments anciens. D’autres effets secondaires indésirables des médicaments n’apparaissent généralement pas au cours d’un traitement de plusieurs années, mais dès les premières semaines ou les premiers mois d’une thérapie. Au total, il existe actuellement environ 30 médicaments différents pour le traitement de l’épilepsie. Le profil de risque pour le développement d’effets secondaires indésirables varie considérablement d’un médicament contre l’épilepsie à l’autre. Ce qui est important : en cas d’apparition de nouveaux désagréments dans un contexte temporel lié au traitement de l’épilepsie, il convient de toujours vérifier minutieusement si les médicaments jouent un rôle déterminant ou si d’autres causes sont à l’origine de ces troubles.

Que conseillez-vous à vos patients lorsqu’ils signalent des effets secondaires indésirables diffus tels que des troubles de la concentration ?

Lorsque de tels troubles sont signalés, il est recommandé de procéder à un examen plus approfondi afin de prendre, le cas échéant, des contre-mesures ciblées. Dans un premier temps, il convient de déterminer plus précisément le problème. En tant que personnes concernées, nous avons souvent tendance à décrire nos propres pertes comme des « troubles de la concentration » ou encore des « troubles de la mémoire », alors qu’après un examen psychologique plus approfondi, le problème se situe peut-être dans des domaines totalement différents, comme la capacité d’attention.

Qu’est-ce qui aide dans de tels cas à aller au fond du problème ?

Un examen neuropsychologique standardisé permet ici de clarifier la nature et l’étendue des troubles.

Lors de la consultation, signalez-vous à vos patients les éventuelles conséquences sociales et psychiques à long terme ?

Souvent, les patients considèrent à juste titre que les problèmes sociaux et psychiques liés à l’épilepsie sont si importants qu’ils les évoquent d’eux-mêmes. Dans le cas contraire, c’est au médecin de prendre l’initiative et d’aborder de lui-même les aspects sociaux tels que la profession, le sport, l’aptitude à la conduite, le planning familial et la vie de couple. L’état psychique est un thème central dans la maladie épileptique. L’apparition conjointe d’une épilepsie et, par exemple, d’une dépression ou de troubles de l’adaptation est très fréquente. La souffrance causée par le problème psychique est même souvent plus grande que celle causée par les crises elles-mêmes. En tant que neurologues, nous devons donc être attentifs à ne pas passer à côté de la présence de problèmes psychiques. Certains neurologues ont également des compétences psychiatriques. Mais comme les domaines de la médecine sont aujourd’hui très spécialisés, je préconise de demander l’avis d’un psychiatre spécialisé en cas de problèmes psychiques et, si nécessaire, de mettre en place un traitement conjoint approprié.

Avez-vous d’autres recommandations à faire aux patients ?

Le diagnostic soulève de nombreuses questions pour les personnes concernées. Pour répondre à leurs préoccupations, les patients et les médecins profitent de la possibilité de faire appel à d’autres spécialistes, notamment dans les domaines du service social et de la psychologie, dans les centres spécialisés dans l’épilepsie et chez Epi-Suisse.

Prof. Martin Kurthen, centre suisse de l’épilepsie, médecin-chef de la policlinique pour adultes, spécialiste en neurologie FMH

Texte: Christine Walder

Traitement médical chez des personnes en situation de handicap

Les personnes atteintes de handicaps graves et de maladies rares constituent un défi majeur pour la médecine. Dr méd. Thomas Dorn situe les principales lacunes et explique les mesures nécessaires pour améliorer leur prise en charge.

Thomas Dorn, les soins médicaux sont globalement de bonne qualité en Suisse. Mais répondent-ils aux besoins des personnes en situation de handicap ou atteintes de maladies rares?

Si la Suisse est sans aucun doute bien classée en termes d’appareillage et de techniques de diagnostic et de traitement, notamment en ce qui concerne les maladies aiguës, la médecine pour les personnes atteintes de troubles du développement intellectuel ou de maladies rares se situe en deçà du niveau d’autres pays d’Europe centrale ou du Nord. Ceux-ci font déjà le lien entre les troubles du développement intellectuel et les maladies rares, ce qui est peu fréquent.

Les connaissances spécialisées pour prendre en charge les personnes en situation de handicap font défaut.

Pourquoi? Quel est le lien entre ces deux groupes de patients?

Ces deux dernières décennies, les techniques modernes ont permis des progrès considérables dans le diagnostic des maladies génétiques, qui sont pour la plupart des maladies rares, c’est-à-dire qu’elles touchent moins d’une personne sur 2000. Comme de nombreux gènes interviennent dans le développement du cerveau, qui est le plus complexe des organes humains, beaucoup de ces maladies génétiques rares s’accompagnent de symptômes neurologiques tels que des handicaps moteurs, des crises épileptiques et des troubles du développement intellectuel.

Une grande partie des gènes responsables du tableau clinique souvent complexe de ces troubles et affections ayant été identifiés, on comprend désormais mieux comment les symptômes hétérogènes et variés apparaissent. Les approches thérapeutiques de certaines maladies rares se sont par conséquent aussi améliorées. Elles vont au-delà du traitement de symptômes isolés et peuvent réduire l’ensemble du tableau clinique, surtout si elles sont mises en place très tôt, dès l’enfance.

C’est un grand succès pour la médecine, mais où se situe le problème en ce qui concerne les troubles du développement intellectuel et les maladies rares?

Ici: en Suisse, il existe depuis de nombreuses années maintenant un mouvement porté par les patients, leurs proches et des médecins, qui s’engagent à travers différentes organisations pour que l’on réponde aux besoins des personnes atteintes de maladies rares, notamment les enfants et les adolescents. En 2021, ces efforts couronnés de succès sur le plan politique ont donné naissance à des bases légales visant à garantir la fourniture des soins dans le domaine des maladies rares. Bien que les documents correspondants sur le site du Conseil fédéral fassent ressortir la similarité entre les défis médicaux et sociaux auxquels sont confrontées les personnes atteintes de maladies rares et celles souffrant de troubles du développement intellectuel, ces dernières, surtout lorsqu’elles sont déjà adultes, n’ont malheureusement pas (encore) de place dans le discours public et politique.

Quels sont les principaux problèmes que ces personnes et leurs proches rencontrent dans leurs relations avec les médecins?

En premier lieu, les connaissances spécialisées nécessaires en médecine pour personnes atteintes de troubles du développement intellectuel font fréquemment défaut à une grande partie du corps médical. Les progrès de la génétique médicale susmentionnés sont moins connus, surtout en médecine de l’adulte. On lit encore trop souvent des diagnostics tels que «déficience intellectuelle due à une lésion cérébrale survenue dans la période anténatale ou périnatale», ce qui dénote un déficit de connaissances et fait que la question de l’origine du trouble du développement intellectuel n’est pas posée, alors qu’elle est importante pour le diagnostic et la thérapie. Or, les personnes concernées ont droit à la recherche des causes, qui sont déterminantes pour le traitement. Lorsqu’elles sont identifiées, il est possible d’agir préventivement contre les complications et les maladies associées auxquelles on peut s’attendre de leur fait ou, dans le cas très rare de syndromes génétiques, d’atténuer l’évolution grâce à des traitements modernes. Cela permet en outre une intégration et une prise en compte améliorées de l’atteinte dans la biographie de la personne concernée. Tous ces points ont déjà été postulés dans la première version des directives «Traitement médical et prise en charge des personnes en situation de handicap» de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM).

Estimez-vous qu’il y a d’autres lacunes dans la prise en charge des personnes atteintes de troubles du développement intellectuel?

Les médecins doivent être capables de nouer un contact avec ces personnes et de les examiner de manière approfondie. Ces compétences ne s’acquièrent pas par la théorie, mais uniquement dans le cadre du travail pratique. Les médecins doivent également être disposés à étudier un dossier de patient complexe et à s’y intéresser. Malheureusement, le «travail en l’absence du patient», très chronophage et extrêmement exigeant, n’est pas rémunéré de manière appropriée dans le cadre de l’actuel système tarifaire pour les prestations médicales ambulatoires. Enfin, il convient de noter que les offres des cliniques spécialisées dans l’épilepsie, qui étaient autrefois principalement compétentes pour les personnes atteintes de troubles du développement intellectuel en Suisse, avec leur expertise neurologique ou neuropsychiatrique, n’ont malheureusement pas été développées en adéquation avec les progrès scientifiques dans les secteurs ambulatoire et hospitalier. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, les offres de ces cliniques ont été étendues et perfectionnées. En Suisse, les cliniques psychiatriques s’efforcent désormais de combler cette lacune par des offres médicales multidisciplinaires spécifiques. Il est toutefois douteux que celles-ci répondent complètement aux besoins de toutes les personnes concernées et de leurs proches, du moins lorsque les aspects psychiatriques sont éclipsés par des questions épileptologiques complexes.

Quels sont les prérequis d’un traitement médical moderne et adapté aux besoins des personnes en situation de handicap?

Tout d’abord, il faut des directives sur le diagnostic nécessaire en cas de suspicion de troubles du développement intellectuel. Outre la clarification précise de la cause, il s’agit avant tout de recenser et de décrire avec exactitude le tableau clinique des troubles, afin de mieux identifier les déficits, mais aussi les ressources.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement?

Chaque personne est différente. Tout patient atteint d’un trouble du développement intellectuel doit donc aussi être considéré individuellement. Il faut déterminer précisément ses points forts et faibles. Lorsqu’il existe des troubles du comportement, leur origine doit être analysée avec précision. Il s’agit de comprendre au mieux l’imbrication généralement complexe entre les facteurs environnementaux et l’influence de la maladie sous-jacente. Il ne faut pas non plus négliger les douleurs chroniques ou une autre maladie somatique concomitante en tant que cause associée. Il est également important de recenser soigneusement les symptômes et les maladies neurologiques concomitantes. En cas d’épilepsie, les crises doivent être minutieusement décrites et distinguées des autres symptômes épisodiques (syncopes, stéréotypies, etc.). Les éventuels troubles de la motricité (paralysie, spasticité, troubles de la coordination et moteurs), tout comme ceux de l’audition et de la vision, doivent être identifiés et qualifiés. C’est la seule manière de mettre en place un soutien et un encouragement appropriés. Les traitements adéquats, pour lesquels des directives sont également nécessaires, se fondent ensuite sur ces connaissances.

Vous êtes membre du conseil d’administration de l’association SSHID. Comment contribue-t-elle à améliorer la prise en charge?

Nous travaillons depuis un certain temps d’arrache-pied à l’élaboration de telles normes diagnostiques et thérapeutiques et nous nous efforçons de réunir les connaissances scientifiques ainsi que le savoir et l’expérience variés de nos membres, pour être en mesure, à terme, de formuler des directives appropriées. Par la suite, celles-ci doivent également déployer un effet sur l’évolution du tarif des prestations médicales dans les domaines ambulatoire et stationnaire. Parallèlement, la SSHID développe un programme d’études pour les médecins qui souhaitent se consacrer davantage ou principalement au diagnostic et au traitement des personnes atteintes de troubles du développement intellectuel.

Les lacunes seront-elles comblées avec ces normes, le programme d’études et les catégories tarifaires adéquates?

Ce sont de premiers pas. Il est également souhaitable que la médecine universitaire en Suisse reconnaisse enfin, bien plus qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent à Genève p. ex., l’importance et le potentiel de cette branche, qu’elle se consacre aux questions scientifiques correspondantes et qu’elle transmette des contenus pertinents pour tous les médecins dans son enseignement. Des spécialistes ne sont en effet pas seulement nécessaires dans les offres ambulatoires et stationnaires spécifiques. Les cabinets médicaux et les hôpitaux qui ne traitent pas principalement des personnes atteintes d’un trouble du développement intellectuel devraient également disposer d’un certain niveau de connaissances et d’expérience dans ce domaine. L’opération d’une hernie inguinale, même chez un patient présentant un trouble du développement intellectuel, devrait être possible dans n’importe quel hôpital pratiquant cette intervention, idéalement en étroite concertation avec les spécialistes impliqués.

Qu’est-ce qui contribue au succès d’une visite chez le médecin ou d’un traitement?

Les patients ou leurs proches devraient absolument veiller à ce que les médecins traitants consacrent suffisamment de temps à l’anamnèse et à l’examen. Il est utile, et en fait nécessaire, compte tenu du manque de temps chronique dans la profession, que les proches tiennent eux-mêmes un classeur de toutes les lettres et de tous les documents médicaux, de préférence dans leur ordre chronologique, et qu’ils l’apportent à chaque consultation. Et en dehors de situations particulières, les patientes et patients ont le libre choix du médecin. Ils peuvent bien sûr l’exercer lorsqu’ils ont l’impression que celui-ci n’a pas fait preuve de la diligence et de la minutie requises.

Décrire leurs symptômes concrets, donner des indications sur leurs douleurs sont justement des choses que beaucoup de personnes atteintes d’un handicap grave ne peuvent pas faire. Il est en outre difficile d’évaluer ce qui contribue le plus à leur qualité de vie. Comment peut-on néanmoins préserver leur dignité?

Améliorer la qualité de vie de ces personnes et préserver leur dignité exigent principalement des médecins qui les suivent qu’ils disposent de connaissances et d’une expérience appropriées et qu’ils leur consacrent suffisamment de temps.

En vieillissant, les personnes atteintes d’une déficience mentale sont plus affectées par le phénomène de «frailty» que les autres. Autrement dit, leur fragilité et leur vulnérabilité sont plus marquées et apparaissent plus tôt. Pourquoi et qu’est-ce que cela signifie pour le traitement?

La plus grande fragilité avec l’âge des personnes atteintes d’un trouble du développement intellectuel a des causes variées. En voici quelques exemples, sans prétention à l’exhaustivité. En cas de trisomie 21, la démence est plus fréquente et précoce que chez les personnes ne présentant pas cette anomalie chromosomique. Les troubles des fonctions motrices provoquent davantage de chutes, mais aussi un manque d’activité physique. Le système squelettique est de ce fait particulièrement sensible. Le risque d’ostéoporose et de fractures augmente encore en cas d’épilepsie traitée par certains antiépileptiques. Les troubles alimentaires et nutritionnels d’origine multifactorielle jouent également un rôle dans la fragilité accrue. L’important est ici justement de bien accompagner les maladies associées à la maladie de fond.

Portrait:

Dr méd. Thomas Dorn est médecin-chef en neurologie à la ZURZACH Care Rehaklinik Sonnmatt Luzern et membre du conseil d’administration de la «Société Suisse pour la Santé des personnes présentant une Déficience Intellectuelle» (SSHID).

Dernière actualisation: 02.05.2022